Vivre le début de son post partum à la maternité.
Le 5 mai 2020, je suis tombée d’un immeuble de 11 étages. Peut-être pas littéralement. Mais physiquement et mentalement, c’est la sensation que j’ai eue en tout cas. Celle de me jeter dans le vide, dans l’inconnu, les yeux à moitié ouverts pour ne pas m’effrayer. Mais tout de même avec l’envie de savoir où j’allais atterrir.
Puis, une fois la période passée du souffle retenu, la violence de l’impact. Je l’ai ressenti aussi. La douleur dans chacun de mes membres, les cicatrices qui restent.
Ma fille est arrivée comme une tornade ce fameux premier mardi de mai, un mois avant le terme. L’accouchement s’est bien déroulé même si la période Covid a tout compliqué. Cependant, le papa n’a pas pu rentrer avec moi dans la salle de travail, le masque était obligatoire. Pour la péridurale c’était maintenant ou jamais, car un seul anesthésiste… Peu importe, d’une nature positive je n’ai retenu que le meilleur et en à peine cinq heures ma fille est arrivée.
Le monde pouvait bien s’écrouler, à cet instant plus rien ne comptait. À trois nous avons profitez de ce moment de calme où j’ai pu reprendre ma respiration, deux heures de peau à peau avant la véritable chute.
À midi on nous explique que je dois rentrer en chambre et que les retrouvailles sont terminées. Nous ne serons plus que deux pour une durée indéterminée. Donc on m’explique aussi qu’il faut que je garde ma fille 24h/24h sur moi pour qu’elle se réchauffe à cause de sa prématurité.
Je me persuade que ce n’est pas grave, je vais mettre à profit ce temps pour profiter de ma fille. Rien qu’elle et moi.
La première journée se passe et je ne fais que l’admirer, la garder bien au chaud contre moi et tenter de lui donner le sein. Pas de temps. Manque de personnel. Je ne vois presque personne si ce n’est la femme qui apporte mes plateaux-repas. Plateaux-repas constitués uniquement de légumes vapeurs de riz ( je ne mange pas de viande) et d’un yaourt.
Je meurs de faim. Ma fille aussi. J’appuie plusieurs fois sur ce fameux bouton rouge pour que l’on m’aide pour l’allaitement, ça dure trois minutes et la sage-femme repart.
Je me sens seule, mais je tiens, pour ma fille, je m’accroche à elle.
Le deuxième jour, je comprends que je ne suis pas à l’hôpital, mais en prison. J’explique que je souhaite sortir le plus rapidement possible. On n’ose pas me contrarier et on me dit « Oui, oui on va voir avec le pédiatre ». Il fait chaud, je ne peux pas ouvrir la porte-fenêtre qui est bloquée, peut-être pour éviter qu’on saute ou qu’on s’échappe. Je ne peux pas sortir de ma chambre. Je me sens seule et trouve mon réconfort dans les messages de mes amis et de ma
famille. Pas de sortie possible. 4 mots glissés à 18h30 sans explication. Ma fille pleure, toujours pas de lait. La nuit est longue. La journée aussi, mais je n’ai personne pour la prendre ne serait-ce cinq minutes pour prendre une douche.
C’est elle et moi contre tous.
Le troisième jour, je suis moins conciliante. Je veux sortir. Maintenant. « Le pédiatre va passer pour examiner votre fille pour la sortie ». Inutile de vous dire qu’il n’est jamais passé. Une sage-femme m’explique qu’il n’est pas venu, car ma fille a perdu trop de poids et qu’il ne la laissera pas sortir à cause de cela. J’ai gardé le contrôle durant 3 jours, mais là ce n’est plus possible. Ma fille ne mange pas, elle perd du poids, car elle n’arrive pas à téter, mais personne ne me donne de solution.
Alors, après 5 appels sur le bouton rouge, on finit par me proposer un tire-lait pour stimuler la lactation et finalement on m’explique qu’il n’y en a plus. Je dois sortir, ça devient une nécessité pas seulement pour moi, mais pour ma fille. Je la mets au sein toutes les heures, si ce n’est toutes les minutes, je suis épuisée, mais déterminée si je ne sors pas demain, je le sais ce sera deux jours supplémentaires, car il n’y a pas de sortie le dimanche.
Une jeune sage-femme me propose des téterelles, pas la bonne taille, mais il n’y a que cela, j’ai l’impression que ma fille boit. Un tout petit peu, mais elle boit. Le lendemain je préviens tout le monde. Je pars aujourd’hui. Ce n’est plus possible.
Je vais devenir folle dans cette chambre.
Je meurs de faim, je suis épuisée et j’ai chaud. Alors je prépare mes bagages. Midi toujours pas de nouvelle du pédiatre. Je sonne. J’embête tout le monde même si la réponse est qu’il va arriver. Je sonne.
Voilà le pédiatre qui arrive enfin. Il me fait un cours de dix minutes sur l’importance du masque…Examine ma fille et repart sans rien me dire.
Puis c’est une sage-femme qui m’explique que la sortie ne sera pas signée par le pédiatre, car même si elle a repris du poids celui-ci est toujours trop faible. Je lui dis que je pars, je ne veux rien savoir, je pars. Je l’entends essayer de persuader le pédiatre dans le couloir, celui-ci dira «Oui, oui on en a des femmes qui disent que l’allaitement est mis en place, elles rentrent et ça ne fonctionne pas et après elles reviennent et c’est l’hospitalisation du bébé. »
J’ai eu la sensation d’être une petite fille de cinq ans faisant un caprice.
Pourquoi est-ce qu’on ne me dit rien ? Pourquoi ne m’aide-t-on pas ? Je suis dans une impasse ma fille à faim et je suis dans l’incapacité de la nourrir. La sage-femme m’indique que si je pars, ce sera contre avis médical et qu’il faut que je trouve une sage-femme qui accepte de peser ma fille le lendemain et donc un dimanche.
Peu importe. A cet instant il s’agit de survie. Je dois sortir. Par miracle j’avais le numéro de ma sage-femme qui habite à 30 minutes de chez moi, je lui détaille la situation je suis au fond du gouffre et elle est ma seule porte de sortie. Il en va de la survie de ma fille, je dois sortir.
Elle accepte de me voir à son cabinet le dimanche matin pour une pesée. La sage-femme de l’hôpital le notifie et elle me donne le carnet de santé de ma fille qui était retenue en otage. Et c’est tout. Pas d’au revoir. Ni un mot.
Je n’ai pas eu d’aide non plus pour les bagages que j’ai dû descendre seule avec ma fille dans les bras, car les papas n’étaient pas autorisés à monter. Je suis partie comme une voleuse avec la sensation de m’enfuir et l’impression qu’à tout moment on pouvait m’enfermer à nouveau.
Lorsque les portes de la maternité se sont ouvertes, j’ai pu respirer. Un poids s’est envolé.
Mon conjoint nous a serré dans ses bras et avide de cette liberté j’avais la sensation que tout irait mieux. Mais une pointe de culpabilité me tiraillait tout de même. N’étais-je pas égoïste d’être partie ? Contre l’avis des médecins ? Et si ma fille perdait encore du poids ? Et si je n’arrivais
pas à la nourrir ?
À la maison tout était plus simple, j’avais de l’aide et je me sentais bien. Le lendemain nous avons été au rendez-vous pour la pesée, ma sage-femme a été exceptionnelle. J’étais tellement stressée que j’avais oublié le carnet de santé, j’ai explosé en pleur dans son cabinet. J’ai pleuré toutes les larmes que j’avais retenues depuis 4 jours. Elle m’a rassuré, m’a prescrit un complément à donner au biberon au cas où. Après cela je me suis battue pour cet allaitement,
j’ai donné à la seringue, à la paille… et j’en passe. Ensuite durant un mois j’ai lutté et j’ai finalement allaité ma fille durant 4 mois à l’aide d’un tire-lait et d’une téterelle.
La suite de mon post-partum a été remplie de joies, de fatigue, de peurs, de rires et de larmes,
mais je me sentais prête à tout affronter à trois à la maison.
Le 5 mai 2020, je suis tombée d’un immeuble de 11 étages et je me suis relevée encore plus forte. Cette maternité, ce post-partum a décuplé ma volonté, mon énergie et ma joie de vivre. Je le sens dans mes tripes tout a changé, j’ai changé. J’ai vraiment la sensation d’être devenue une meilleure version de moi-même. Je sais aujourd’hui à quel point les mamans sont des guerrières et je me sens connectée à elles par cette expérience. Je sais que mon témoignage est à la fois unique et ordinaire, beaucoup de femmes se retrouveront peut-être dans mes mots.
Cette maternité est une force invisible qui nous lient. Vive la sororité et l’entraide.