L’histoire d’Aaricia
Je m’appelle Violaine, j’ai 34 ans, j’habite à Bayonne. Je suis mariée à Simon, avec qui j’ai deux enfants, Aramis, né le 7 avril 2016, et Aaricia, née avec une malformation le 23 juillet 2018. Je vais te raconter ici son histoire particulière.
Vendredi 29 juin 2018
Aujourd’hui j’ai rendez-vous pour l’échographie du troisième trimestre de mon second bébé. Après une première grossesse très mouvementée, avec une suspicion de problème à chaque rendez-vous, cette seconde grossesse a été enchanteresse. Je n’en garde pas moins en tête que ces échos sont des actes médicaux avant tout, et pas seulement un joli moment de rencontre avec mon bébé. Heureusement…
Depuis quelques jours, j’ai des contractions, mais je ne suis pas trop inquiète. J’ai un peu trop forcé il y a une semaine à la fête de la musique, et puis elles ne sont pas douloureuses. Il me tarde quand même d’avoir confirmation que tout va bien.
Je vais à ce rendez-vous avec mon amoureux, Simon, heureux de revoir bientôt sa fille, et lui aussi dans l’attente de la confirmation que mes contractions ne sont rien de grave. Et puis… Et puis le monde se dérobe sous nos pieds. La gynécologue nous parle d’excès de liquide amniotique, d’absence d’estomac visible, de malformation possible de l’œsophage. Elle est claire et douce dans ses explications mais moi je ne comprends plus rien. Mon cerveau s’est vidé aux mots« malformation », « spécialiste » « CHU ». Elle m’envoie faire un monitoring, me donne un traitement pour calmer les contractions, nous prend un rendez-vous mardi avec un de ses collègues au CHU à 200 kms de chez nous… Elle me dit de la rappeler si les contractions ne se calment pas.
Je rentre sans comprendre ce qui se passe. Je reste couchée sur le canapé, on explique à notre grand de tout juste deux ans, Aramis, que maman ne peut plus le porter, qu’il faut faire attention pour sa petite sœur. Je suis incapable de mettre des mots pour lui sur le reste, encore
sonnée par cette annonce.
Le lendemain matin, ma gynécologue prend des nouvelles. Malgré le traitement pris la veille au soir et ce matin, et l’arrêt de toute activité, les contractions sont toujours là. Elle me fait revenir à la clinique, et me met sous perfusion pour stopper les contractions. C’est parti pour 48 heures, et un transfert en hélicoptère (pour éviter d’accentuer les contractions en ambulance) au CHU le lundi.
Mon homme arrive en même temps que moi. Nous sommes accueillis par un gynécologue qui nous accueille d’un « on se serre la paluche ? », qui s’assoit sur mon lit et nous explique qu’on va faire tout un tas de test pour préparer au mieux l’arrivée de notre puce. Qu’ensuite je rentrerai chez moi, et que je pourrais reprendre une vie normale. Pas faire le marathon, mais marcher, porter mon fils. Que si je dois perdre les eaux je les perdrais quoi qu’il arrive. Il finit par se tourner vers mon mari« vous pouvez faire l’amour hein, si elle perd les eaux après ce ne sera pas votre faute ». Pardon ?!
Il nous laisse là un peu sonnés, on n’y comprend plus rien. Et surtout j’ai l’impression amère d’être un morceau de viande, et ma fille une statistique parmi d’autres…
C’est parti pour une première nuit au CHU, et le lendemain la rencontre avec le spécialiste qui me fait l’écho la plus poussée que je n’ai jamais eu. Lui tient un tout autre discours. Il me préconise de rester sur Bordeaux jusqu’à l’accouchement si possible (mon terme prévu est le 29
août). Je reste hospitalisée une quinzaine de jours, mon mari reste avec moi la première semaine puis rentre auprès de notre fils. Je passe une multitude d’examens : échographie cardiaque, amniocentèse, IRM fœtal. On fait tous les deux une prise de sang pour détecter une éventuelle
anomalie génétique. C’est lors de cette hospitalisation que j’apprends le nom de la malformation de ma fille : l’atrésie de l’œsophage. 1 naissance sur 3000 en France chaque année, environ 200 bébés.
Ok ma puce, on se prépare. On rencontre ton chirurgien, on sait que quoi qu’il arrive tu auras une opération à ta naissance. Ton œsophage est coupé en deux. Il y a plusieurs types d’atrésie, soit ce sera opérable dès tes premières heures de vie, soit il faudra attendre plusieurs semaines, ou mois avant de pouvoir t’opérer, et pour ça il faudra te faire un petit trou dans le ventre pour te nourrir directement par l’estomac.
Je culpabilise, et me reprends. Je sais bien que ces choses-là n’arrivent pas qu’aux autres. Ce sera ainsi ça notre histoire. Mon boulot à moi maintenant, c’est de faire en sorte de t’accueillir dans les meilleures conditions possibles.
On me dit que je peux dormir avec un doudou pour qu’il ait mon odeur, et qu’il t’accompagne dans ton petit berceau. J’envoie ton papa en chercher un au magasin de l’hôpital, ça sonne comme une urgence en moi, la seule chose que je peux faire pour toi. Ça, et rester tranquille pour que tu restes au chaud le plus longtemps possible.
Chaque jour se ressemble à l’hôpital. Entre deux monito je te parle en moi, je caresse mon ventre. Sur une application pour les mamans je rencontre la maman d’un petit garçon qui est né comme toi. Grâce à elle j’apprends à vivre au jour le jour, à ne pas trop me projeter. Là, ici,
maintenant, c’est le plus important. Un jour de plus en moi est un jour de gagné pour ne pas ajouter de la prématurité à ta malformation.
Le 14 juillet il nous faut quitter l’hôpital, toujours en Menace d’Accouchement Prématuré. Ici les conseils varient, il y a ceux qui me conseillent de rester sur place (mais chez qui attendre de perdre les eaux?), et ceux qui comprennent que j’ai un aîné à la maison… Le principal risque est
que tu naisses à Bayonne, et que tu sois transférée sans moi… Pour ton frère, je prends le risque, en te promettant de filer à l’hôpital au moindre signe.
Tes grands-parents sont là, et heureusement, parce que les dérogations pour le trajet en ambulance n’ont pas été demandées. Nous voilà donc, toi, moi, mon ventre énorme et nos valises, entassés avec papi, mamie et ma tatie dans la voiture, priant pour que je ne perde pas les eaux sur ce qui sera 3h30 de voyage éprouvant (ben oui, on est le 14 juillet)… Me revoilà à la maison, en Hospitalisation à Domicile, avec passage quotidien de sage-femme.
Lundi 23 juillet, 3h30 du matin. Ça fait deux jours que je sens que mon ventre n’en peut plus… J’ai du mal à sortir du lit, à faire certains gestes. Pour la troisième fois cette nuit, je suis réveillée par une envie pipi. Je me redresse et m’assois tant bien que mal sur le lit. Et là, les pieds à peine posés par terre, j’entends crack ! Je me dis que je psychote encore, tente de me lever, et là aucun doute, ça a bien craqué et ça coule… Et comment dire que ça ne fait pas semblant ! Je réveille Simon, tout content que ce soit le jour J. Je file à la douche où je continue de couler (c’est hallucinant tout le liquide que je perds, avec l’excès que j’avais). Appel à mamie, bisou à Aramis, mon petit grand, que je ne peux m’empêcher d’aller voir. Mon cœur se serre un peu, je ne sais pas quand je le reverrai… Tout ça en préparant tranquillement mon sac, je n’ai pas de contraction, il ne faut juste pas traîner pour le transfert à Bordeaux.
C’est parti pour l’hôpital de Bayonne ! Et là ça continue tellement de couler que ça transperce ma couche Tena, mon pantalon et ça trempe le siège… Deux énoooormes contractions arrivent l’une à la suite de l’autre, j’avais oublié à quel point ça fait mal !!! Dire que je m’étais dit
que j’essaierai bien d’aller le plus loin possible sans péridurale, ben je retire ! J’ai l’impression que je vais accoucher dans la voiture…
Arrivés à l’hôpital, aucun doute sur le perçage de la poche, on m’ausculte. Il y a une semaine j’avais un col plus que fermé, allongé. Là il est ouvert à presque 2, je suis sûre qu’il s’est ouvert juste maintenant dans la voiture. On me remet sous perfusion de Tractocile pour calmer les contractions et me préparer au transfert en hélicoptère. Simon rentre gérer les détails avec sa mère qui va garder Aramis trois jours, il prépare ses affaires et part en voiture vers Bordeaux. Il est 9h quand il part, moi je sors de ma chambre pour l’hélico vers 10h30.
Arrivés dans l’hélicoptère, celui-ci va pour démarrer, les hélices tournent tournent tournent… et s’arrêtent. Allons bon qu’est-ce qu’il se passe ? Il se passe que le service pédiatrie de Bordeaux annule mon transfert, ils n’ont pas de place pour ma fille. En 10 ans de carrière le pilote n’a jamais vu ça !! Je pleure un peu, tellement déçue et stressée d’un coup ! Un appel à Simon pour lui dire de faire demi tour, il est à plus de la moitié du chemin, il est furieux… Et moi tellement triste, je sais que ma pépette sera transférée sans moi, que je vais passer je ne sais combien de temps sans la voir après l’accouchement.
Et puis, on va sortir de l’hélico quand la radio rappelle, c’est bon ils se sont débrouillés je peux arriver à Bordeaux… Nouvel appel à Simon, qui allait s’engager sur la sortie d’autoroute pour faire demi-tour, montagnes russes émotionnelles mais ouf on décolle, et j’arrive en même temps que mon amoureux…
On passe en salle de naissance. Pendant le voyage j’ai pensé avoir quelques contractions. Le monito révèle que ce n’est pas le cas, je sens une petite douleur tout en bas mais pas de contraction. La seringue de Tractocile est finie mais elles ne reviennent pas. L’interne vient me réciter ses cours : il y a 50% de chance que je me mette en travail dans les 48h, on va voir et sinon arrivée à 37sa on déclenchera. J’insiste sur le fait que j’ai mal, pour moi c’est le jour J. Elle me répond que je n’accoucherai pas aujourd’hui. Je suis très déçue, je ne me vois pas attendre à nouveau ici des jours et des jours. On reste en salle d’accouchement en attendant qu’une chambre se libère.
Il est 14h, Simon va nous chercher de quoi manger, je n’ai rien dans le ventre depuis hier soir, je ne peux pas rester des heures comme ça. Moi je fais les 100 pas dans la chambre, bien décidée à ne pas avoir mal pour rien (parce qu’elles peuvent dire ce qu’elles veulent moi j’ai mal en
bas !). Je mange mon sandwich, un brancardier arrive pour me monter en chambre avant que la sage-femme ne revienne m’examiner (je lui ai dit que vraiment ça fait mal et que c’est de plus en plus régulier et rapproché). Pas d’examen du col donc, je repars comme si de rien n’était, en
attendant que le travail se mette en place.
Arrivés à l’étage des chambres je souffle de plus en plus, ça fait mal ! Même si effectivement je ne sens pas que mon ventre contracte. J’ai mal en bas. Il est 15h environ. Simon se pose, un peu démuni. Moi je tourne en rond, je souffle, je crie un peu et m’accroche où je peux
quand cette douleur arrive. Je bipe, la sage-femme vient avec le monitoring. Je suis prise de nausée, pas loin de vomir. Et je sens que là oui ça commence. Elle me dit qu’effectivement les nausées peuvent aller avec les contractions… Elle laisse tomber le monito, m’examine le col, toujours ouvert à 2 mais cette fois bien bien raccourci… Elle me dit « je vous redescends ». 15h30 je repars dans la même salle d’accouchement, j’ai de plus en plus de contractions.
15h45 ouverte à 3, Marine ma gentille sage-femme, qui est avec moi depuis mon arrivée, va chercher l’anesthésiste. Je VEUX la péridurale. Je me suis préparée à tout, césarienne, séparation de ma fille, mais pas absence de péri. Mon dieu que j’ai mal. Mais je suis heureuse, je ne souffre pas pour rien !! 16h15, tout est en place depuis un moment mais j’ai des contractions tellement souvent qu’on arrive pas à la poser cette péri. Entre temps on s’est préparés, l’anesthésiste attendait la fin de la contraction, prête à piquer, mais j’ai vomi dans une bassine sur Simon et Marine. Elle m’avouera plus tard qu’elle en a eu dans l’œil… J’aurai dû m’écouter et savoir que le travail allait reprendre vite malgré ce que disait Mlle l’interne, je n’aurai pas mangé…
16h15 donc, Marine m’examine, je suis à 6. Elle ne sait pas trop si on aura le temps de poser la péri, ça va vite. Panique à bord, heureusement Simon est là, je plonge mon regard dans le sien à chaque contraction, il souffle avec moi, je me concentre sur son souffle pour faire pareil et ne pas perdre la tête. Je dis à Marine que si je dois pousser 20 min avec ces douleurs je tiendrai pas, je veux la péri au secours !!!
En trois fois on finit par y arriver, avec une pause contraction. La péri est posée. Dès qu’on me dit que je peux bouger je hurle, ça pousse ça pousse !!! Je me jette dans le lit en me tordant de douleur, je hurle je ne contrôle plus rien !!! Marine court chercher l’équipe et prévenir la réa
qu’Aaricia arrive… L’anesthésiste a à peine le temps de faire le tour du lit pour appuyer sur la première dose de péri que je sens que ma fille est là. Je ne vois pas bien qui est dans la pièce, je me vois accoucher toute seule avec Simon et l’anesthésiste. C’est la panique dans tout mon corps. Je hurle « Marine !!!!! Elle est là !!!! Mariiiiine !!!! Elle est là Marine ??? » Oui, elle est revenue en courant, avec un collègue qui me dit un bonjour tranquille, la bassine pour le placenta dans les mains.
Chéri voit que la tête de bébé sort, il voit ma tête, apparemment j’ai les pupilles complètement dilatées je ne suis plus moi-même. Je me rappelle de cet état animal, et de cette fugace et sereine pensée « je vais mourir, ça y est, ma fille va naître, je l’ai emmenée jusqu’ici, elle est avec son papa, je peux mourir tranquille ». Son papa, lui, me serre fort la main et me dit « garde le contrôle ça va aller ! » Je n’en crois pas un mot même si au fond je sais qu’il a raison… Je suis sur le lit encore fait, sur les draps (Marine n’a pas eu le temps d’enlever le bas du lit), les étriers ne sont pas prêts, d’après ce que me raconte Simon je soulève mes fesses, je m’accroche à lui et à tout ce que je peux, je pousse sur mes pieds. Et je pousse en bas, je ne peux pas faire autrement. J’ai l’impression que tout mon corps va se vider. Je hurle « ça se déchiiiiiire !!! ». Non non, ce sont les épaules qui passent, je n’avais même pas compris que la tête était passée…
Et là d’un coup tout s’arrête et je ne comprends rien. J’ai poussé une fois, peut-être deux d’affilée, sans gérer mon souffle ni quoi que ce soit d’autre. J’ai justement totalement perdu le contrôle, et mon corps a fait le travail tout seul. Mon bébé est né et moi je n’ai fait que l’accompagner. Il y a 10 secondes je souffrais à en mourir, et là je ne vois que la douceur de mon bébé qui est là, sur moi… Ma petite fille
tellement belle, tellement précieuse !! Elle pleure, je l’observe sous toutes les coutures, un bisou et ils l’emportent…
Je n’arrive pas à croire qu’elle est sortie, que c’est fini, que j’ai accouché.
La péri (le peu qu’elle a eu le temps de m’injecter…) fait effet quelques minutes plus tard, et m’engourdit un petit peu les jambes. C’est fait, j’ai accouché sans péri… C’était terrible mais c’est fini, je suis fière de moi, d’Aaricia, de Simon. Et au final ça a été tellement rapide que ça ne me parait déjà pas si horrible. Simon rigole, il me dit qu’il aurait dû me filmer, qu’il sait par quoi l’exorciste a été inspiré… Je l’ai mordu et tout le pauvre…
Marine sort le placenta sans problème, je n’ai même pas une petite griffure, rien du tout !! Je m’excuse pour lui avoir hurlé et vomi dessus… « ça fait maaaaal !! C’est pas votre faute mais ça fait maaaaal bordel ! » à chaque fois qu’elle m’examinait… Elle me remercie très sincèrement pour cet accouchement de rêve eeeeuh je me demande à quoi ressemble un « mauvais » accouchement pour une sage-femme…
La seule chose que je regrette de cet accouchement, c’est de ne pas m’être du tout préparée à ne pas avoir la péridurale. J’aurai certainement moins paniqué. Sinon, si je pouvais revenir en arrière je referai les choses de la même manière. J’ai découvert ce jour-là une puissance en moi que je ne soupçonnais pas.
Je reste en salle d’accouchement pendant deux heures, un peu plus. Enfin, on m’emmène voir ma princesse. Elle est en réanimation, avec plein de petits capteurs, et une sonde dans la bouche qui aspire sa salive pour qu’elle ne s’étouffe pas avec. On reste auprès d’elle jusqu’à 1h du
matin. Simon me pousse à aller me reposer. Je ne l’ai pas prise contre moi. Les infirmières nous l’ont proposé en arrivant, mais avec tous ces fils on a besoin de leur aide. Elles courent partout, je n’ose pas les interpeller. C’est un monde tellement inconnu, toutes ces machines qui bipent partout, ces bébés qui ont besoin de soins, et mon Aaricia, si paisible, qui dort à poings fermés.
J’avais mis du temps à créer un lien avec mon fils. Ici je suis projetée immédiatement dans ma nouvelle maternité. J’ai la conviction profonde que je pourrais donner ma vie pour ce petit être de 43,5 et 2 kgs tout rond. Peut-être que cet accouchement épique aura servi à ça. Je me sens en forme physiquement, dopée aux hormones et à l’excitation.
En rejoignant notre chambre en maternité, je demande aux sages-femmes comment stimuler ma lactation. Je ne pensais pas en être capable, mais me voilà entamant un chemin de tire allaitement qui durera 9 mois. Moi qui, il y a 3 ans, avant mon premier bébé, pensais ne pas être
faite pour l’allaitement… Je mets un réveil toutes les trois heures mais n’en ai pas besoin, je me réveille naturellement, et mes seins se remplissent très vite de ce nectar que j’offre à ma fille et à d’autres touts petits qui en ont tellement besoin… (60 L donnés en 6 mois, c’est super pour les lactariums régulièrement en pénurie…).
Ainsi a démarré notre vie à quatre… Mes parents et mon frère ont pu rencontrer ma fille 22h après sa naissance, quand le brancardier a gentiment fait une pause sur le chemin du bloc, où elle allait subir sa première opération (une petite cheminée entre la paroi abdominale et l’estomac, pour accueillir la sonde de gastrostomie qui servira à faire passer mon lait).
Deux semaines après sa naissance, nous voilà transférés à l’hôpital de Bayonne. L’écart entre les deux bouts de son œsophage étant trop grand, il faut la laisser grandir pour pouvoir les raccorder. Elle est très bien accompagnée par tout un tas de gentilles fées qui se relaient auprès de
son berceau, et de nous, tout ce temps. Ma fille si forte se développe bien, et devient la mascotte du service. Elle doit rester sous scope en permanence, et pour ça au service néonat, et non pas pédiatrie où vont habituellement les bébés de plus d’un mois et demi.
Les jours s’écoulent et se ressemblent. On fait une fine équipe, chéri au travail, moi à l’hôpital, et mon grand chez ses nounous. On se relaie comme ça tant bien que mal, la vie coupée en deux comme notre famille. Heureusement, en septembre, ma mère nous rejoint et soulage notre
organisation. Elle a posé des congés sans solde pour venir vivre à la maison, et mon père et elle s’occupent de nous, et d’Aramis. Je ne les remercierai jamais assez pour leur présence, qui a donné un cadre si rassurant à ce petit garçon dont les parents étaient en vrac.
Et puis moi, j’ai pu être aussi la fille de ma mère, pas seulement la maman de ce petit bout hospitalisé, et ça m’a aidé à tenir.
Jusqu’en septembre, Aaricia avait sa sonde d’aspiration dans le nez, reliée au mur de sa chambre de 4m². J’ai rêvé tant de fois d’en franchir le seuil avec elle dans les bras. Je la laissais le soir, en apnée jusqu’au moment où je courrais la retrouver le lendemain. Un jour, les infirmières ont
discuté avec les médecins d’un moyen de la faire sortir un peu. On se retrouve avec une seringue pour aspirer manuellement la salive, à arpenter tout l’hôpital et sa cour.
Le 12 octobre, on apprend enfin la date de son opération. On nous avait parlé de ses 4 mois, vers le 23 novembre donc. Ce sera le 7 décembre. C’est un coup de massue, ça me paraît être dans une éternité, et c’est le jour de mon anniversaire… Je m’effondre, et toute l’équipe a fait preuve de toute la douceur caractéristique de ces métiers qui côtoient les plus belles joies et les plus grands malheurs. Nous avons le soir-même l’autorisation de sortir de l’enceinte de l’hôpital, on se promène un peu plus loin avec notre grand et sa draisienne. Un premier vrai moment en famille, Aaricia en écharpe, avec son scope portatif, sa sonde et la seringue d’aspiration, une poussette avec une sonde d’aspiration électrique en cas de problème.
Le lendemain, on apprend les gestes de premiers secours, et on peut la ramener pour la soirée à la maison. C’est parti pour une nouvelle phase. On vient la chercher le matin, on la ramène le soir (elle doit passer la nuit sous aspiration à l’hôpital, il faut qu’on l’aspire toutes les minutes ou
quasi quand on le fait manuellement). On se retrouve parents et grand-mère infirmiers. On doit repositionner sa sonde d’aspiration plusieurs fois par jour, et plus elle grandit moins la sonde dans son ventre tient, on doit aussi la remettre plusieurs fois. C’est dur, ce n’est pas notre rôle, et pourtant là est notre place. A tout faire pour qu’elle s’épanouisse, et pour que son frère et elle apprennent à se connaître vraiment.
Je pratique toujours le tire allaitement, je déborde de lait, de larmes, d’angoisses et surtout d’amour. C’est un bonheur de voir mes enfants réunis sous notre toit.
7 décembre 2018. Aujourd’hui j’ai 32 ans. On est arrivés la veille à Bordeaux. Aaricia passe 5h au bloc, et nous on se promène avec mes parents pour cacher notre angoisse derrière le sourire d’Aramis, content de fêter l’anniversaire de maman. On a appris par le chirurgien en arrivant que peut-être le raccordement ne pourrait pas se faire. Que dans ce cas il faudra attendre qu’elle grandisse, et pour ça il faudra qu’elle sorte de l’hôpital. Qu’il lui fera un trou dans le cou pour évacuer la salive et lui permettre de vivre presque normalement. Alors on attend, on ne peut faire que ça…
Vers 14h on nous appelle. Ça y est, le raccordement est fait. On n’a jamais été autant soulagés. Mais maintenant nous faisons face à un univers qu’on avait tout juste cotoyé jusqu’à présent. La réanimation. Notre bébé intubée, menottée pour ne pas arracher le précieux tuyau qui
maintient la cicatrisation. Malgré les doses d’anesthésie elle ouvre grand ses yeux quand elle nous sent arriver. Mais c’était ses dernières forces, elle passera deux jours dans le brouillard total. Dix jours en tout en réa. Son poumon droit est rempli de glaires, il ne fonctionne plus. Elle doit ensuite être sevrée de la morphine. On fait un premier examen une semaine après l’opération, la cicatrice fuit… Il faut patienter une semaine de plus.
Le 17 décembre, elle va mieux, on quitte la réanimation pour le service de chirurgie. Nouvel examen le 21, enfin on peut enlever sa sonde d’aspiration, il n’y a plus de fuite. Je ne me lasse pas de regarder le visage de ma fille sans câble. Elle prend
timidement un premier biberon, avec un sourire à craquer. Le lendemain nous sommes transférés à Bayonne. Là, mademoiselle fait la fine bouche,refuse biberon, sein, DAL, et toutes les manières de boire qu’on peut lui proposer.
Le 24 décembre, je m’effondre. Je vois bien qu’elle ne progresse pas, et c’est Noël… Le plus beau des cadeaux nous est offert par les pédiatres : on rentre à la maison. J’aurai mes deux enfants sous le sapin le matin de Noël… Alors bien sûr, rien n’est fini, tout commence, et il aura
fallu attendre des mois avant qu’elle accepte de mettre des aliments dans sa bouche. D’autres longs mois pour qu’elle puisse se passer de son alimentation par gastrostomie. De mon côté j’ai continué à tirer mon lait jusqu’en avril, et j’ai mis du temps à faire le deuil de cet allaitement dont j’avais tant rêvé.
Aujourd’hui, Aaricia a 2 ans et demi. C’est son premier jour d’école. Le chemin n’est pas fini vers une alimentation normale, elle fait régulièrement des blocages alimentaires, son œsophage ne fonctionnant pas tout à fait comme il faut. Ce parcours familial, cette maternité à part, ces deux allaitements sont ma plus grande fierté. Je me sais aujourd’hui capable de me dépasser, spécialement pour mes enfants, et je sais que quoiqu’il arrive, tout ira bien tant que nous serons ensemble.
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Amandine
Quel magnifique récit ❤
Amandine
Quel magnifique récit ❤